Lutte des classes, en France, version 2019

Cette note reprends une présentation hier soir (21/02/19) devant les Amis du Monde diplomatique de Perpignan, à partir de l’éditorial de Serge Halimi et Pierre Rimbert dans le N° 779 de ce mois de ce mensuel, dont il est utile pour comprendre de rappeler, d’une part qu’il est totalement indépendant dans sa publication du quotidien « Le Monde », d’autre part qu’il est le journal de langue française le plus lu sur le reste de cette planète.

Les deux premiers mots de l’article, et dont tout le reste se décline, sont  « LA PEUR ».

Cette peur bien connue des castes au pouvoir, observée dans tant de Pays et tant d’époques. de l’insurrection et de leur destitution. Sentiment cependant non éprouvé en France depuis plus d’un demi-siècle. Devant l’importance et les attitudes des premiers samedis des Gilets Jaunes (GJ), le soir du samedi 1er décembre Ruth Elkrief de BFMTV, déclare « L’urgent c’est que les gens rentrent chez eux » ! Nous sommes à mi-février plus de 3 mois après le Samedi 1, … et les GJ sont toujours là, même si leur composition et conscience politique partagée ont évoluées … évidemment, processus que l’histoire a souvent mis en évidence.

Si la plupart des grands groupes ont distribué des primes, obéissant à la voix du Maître, c’est qu’ils ont peur, jusqu’à se sentir menacés physiquement (actuation qui a d’ailleurs commencé à pointé le nez ici et là).

En 1936, Benoit Frachon a rappelé que les patrons ont « cédé sur tous les points ». MAIS, l’histoire montre que ceux qui ont eu peur ne pardonnent ni à ceux qui leur ont fait peur ni à ceux qui ont été témoins de leur peur ! « Ils » ont dés la Libération après 1945 investi sans limites, en sachant jouer de toutes les failles manifestées avec le temps, pour tout récupérer, 36 et les « acquis » du CNR.

L’histoire a montré que dans les instants de cristallisation sociale, de « lutte de classes sans fard », le marais (marigo) s’assèche, et chacun doit choisir son camp. Alors, même les plus policés « oublient les simagrées du vivre-ensemble ».

Saisis d’effroi ils perdent leur sang-froid (à l’évidence n’ont rien de l’honneur d’un Romain au sens de Michel Onfray dans Sagesse), et laissent tonner le canon comme par exemple en 1848, en 1871, et tant de fois ici et ailleurs depuis.

J’apprends dans cet éditorial que Gustave Flaubert à écrit « le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain » ! En cohérence avec cela l’actuel Luc Ferry le 7 janvier dernier considère la répression des Gilets jaunes trop indolente et demande aux « gardiens de la paix » « qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois » … contre « ces espèces de nervis, de salopards d’extrême droite ou d’extrême gauche ou des quartiers… » !D’ordinaire le champ du pouvoir se déploie en composantes distinctes et parfois concurrentes, cadre aimable déjà décrit par Jules Guesde en 1900, entre lesquelles s’opère une alternance calibrée de ceux qui vont « aux affaires ». MAIS si les choses bougent trop, les querelles doivent s’effacer devant l’urgence d’un front commun, … ce qui vient de se passer en France (mais aussi sous d’autres formes dans d’autres Pays d’Europe) face aux GJ : les porte-paroles qui par beau temps entretiennent l’apparence d’un pluralisme d’opinions se sont associés d’une même voix envers ces possédés, racistes, antisémites, homophobes, factieux, complotistes, ignares … « heureusement la police a sauvé la République contre les barbares et la racaille cagoulée ».

Du Figaro et du Point à EELV, au PS et à la CFDT , pilonnage des personnalités bienveillantes envers le mouvement dont le tord est de ne pas se montrer solidaire, donc d’attenter à la démocratie ! Au moyen d’une maintenant vieille ficelle : accentuer sur tout ce qui pourrait associer un porte-parole à un point de vue ayant été défendu un jour (pas forcément actuellement) par l’extrême droite.

Le dévoilement le plus net de ce que les éditorialistes appellent « le bloc bourgeois », qui forme le socle électoral de Emmanuel Macron, tombe avec l’article du Monde qui publie le 16-D le portrait d’une famille de GJ : en réaction surgit de partout un déferlement de tous horizons de propos explicitement haineux et « racistes « , … avant Noël ! « Chez ces gens-là, Madame … ce ne peut être que normal » !L‘éditorial prends du recul : le mouvement des GJ marque l’échec du projet de social-libéralisme né dans les années 80, … projet d’une République du centre « en finissant » (il faut « en finir ») des « convulsions idéologiques passées » par l’expulsion des classes populaires du débat public et des institutions politiques, … pour céder la place à la seule bourgeoisie « cultivée ». Évidemment « cultivée dans le bon sens », les autres « sens » (qui pourtant sont, nombreux et idéologiquement divers) n’ayant pas réussi à suffisamment « exister ».

Dés 1983, tournant de la rigueur, en 1990 troisième voie de Blair, Clinton et Schröder, la social-démocratie reléguant aux marges du jeu son socle populaire historique. En 2002, la grande grève de 1995 étant digérée, Strauss-Kahn explique que la « gauche doit  dorénavant reposer sur le groupe intermédiaire « avisé » attaché à l’économie de marché (sic)… car le groupe défavorisé se manifeste parfois dans la violence » ! Il suffit de ne s’occuper de ces populations qu’une fois tous les cinq ans aux élections. Jeu apparemment réussi : entre autres constats flagrants, le Paris de 2019 ressemble au Versailles de 1789.

Mais, le principe de réalités reste déterminant par rapport à la « pensée unique » hors sol : ce monde social décrit rétif à la formation (et donc responsable de son sort) resurgit sous l’Arc de Triomphe et les Champs Élysées, … d’où le 11 janvier, dans Le Figaro, la déploration d’une « rechute dans une forme primitive de lutte des classes ». Ce concept enterré avec le marxisme rejailli de la boîte, … sous la plume du Figaro, là où en croyant faire de la sociologie on l’avait réduit aux phénomènes de castes ! Alors qu’être vraiment sociologue implique de considérer tous les existants, toujours complexes, et se garder de se réduire ainsi au dichotomique.

Dans le même temps le projet parallèle de brouillage idéologique entre droite et gauche semble fonctionner. Dés la chute du mur de Berlin en 1989, il s’agit de repousser aux marges des extrêmes toute position mettant en cause « le cercle de la raison » libérale (pensée unique prétendant devenir dominante), selon une expression de Alain Minc. En cohérence, un Yves Montant  déclare et valorise sur les médias un virage net à 180 ° ! La manière de voir le monde, capitaliste ou socialiste, nationaliste ou internationaliste,  conservatrice ou émancipatrice, autoritaire ou démocratique … est « aseptisée » et remplacée par la dichotomie entre raisonnables et radicaux, ouverts et fermés, progressistes et populistes.

En effet cet hiver, ici et maintenant en France avec le mouvement des GJ, ni le rétablissement de l’ISF, ni le retour aux 90 Kms/H, ni le contrôle strict des frais des élus, ni le RIC, … ne remettent en cause les fondamentaux du capitalisme « adapté » : subordination des salariés dans l’entreprise, répartition fondamentale des revenus, caractère factice de la souveraineté populaire eu sein de l’UE et dans la mondialisation. … etc

Certes les mouvements apprennent en marchant, donc il peut y avoir sens à marquer la solidarité avec les GJ afin d’agir pour l’approfondissement de l’action dans le sens de la justice et de l’émancipation. MAIS la manœuvre en est à l’exploitation de la colère sociale pour profiter à l’extrême droite aux élections européennes. Le pouvoir en place en joue en faisant exagérer la portée de paroles et actes évidemment répréhensibles mais isolés, pour réduire la vie politique à un affrontement entre libéraux et populistes.

Cependant, le pouvoir en place est dans le paradoxe de ne disposer que d’une base sociale étroite pour mettre en œuvre les réformes structurelles restantes « promises », donc de devoir pratiquer un autoritarisme politique renforcé, … d’autant qu’il est manifestement « aux abois » talonné par la dramatisation croissante des scandales Benalla. Ses spin-doctors en communication manifestent du non-professionnalisme en demeurent, au cœur de cette « caste » repositionnée à « classe », hors sol. Alors ?

Nous vivons une tranche d’époque où les dirigeants actuels, formatés à des moules finalement demeurés archaïques derrière des apparences de modes sociologiques et un seul type de représentations des nouvelles technologies, cornaqués par des puissances financières qui demeurent derrière le rideau de la scène, se refusent à voir, d’autant plus qu’ils ont PEUR.

Puisque nous sommes ici à Perpignan, soit autant en France qu’en Catalogne, nous pouvons assister :

  • côté Sud à un pouvoir espagnol (en fait castillan) qui ne veut donc ne peut voir la détermination profondément ancrée du peuple catalan, pourtant plus libéral (mais au sens originel du XIXème siècle de libéral) qu’on ne le laisse paraître.
  • côté Nord à un pouvoir  « d’élite » toujours centralisé (devenu en fait mondialisé) qui ne veut donc ne peut voir que la majorité de la population « en a marre » au delà des seuils supportables, mais pourtant bien moins extrêmisteS qu’on ne le laisse paraître.

Le 15 novembre dernier, quelques jours avant le Samedi 1, je publiais sur mon mur Facebook un article intitulé « Une ébauche de 1789 … et/ou de 1905 ? ». Après 3 mois d’expériences des GJ et des réactions du « bloc bourgeois » (comme l’appellent Halimi et Rimbert), je maintiens mon pronostic. À savoir que le mouvement GJ va probablement être récupéré et réduit, MAIS que son vécu collectif reste, a enrichi et marqué les consciences, … Et, les réalités demeurant ce qu’elle sont, il faudra peu de temps pour qu’un autre mouvement plus structuré et ferme émerge (même s’il garde l’appellation GJ), se rapprochant effectivement un peu plus de contextes ayant des traits communs avec 1789 et/ou 1905 … et alors ! ?  La manipulation mondiale néo-libérale mise en œuvre depuis les années 50, accélérée avec les années 80, n’aura pas à se lamenter, elle aura été prévenue plusieurs années de suite … à Davos !

Michel André Vallée – 22 février 2019

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