Chine et Etats-Unis Le choc du XXIè siècle, thème auquel est consacré le N° spécial 170 pour avril 2020 de Manière de Voir, revue du Monde diplomatique. Comme à l’accoutumée pour d’autres thèmes, Manière de Voir fait un tour instructif et actualisé de cette grande question géopolitique, majeure puisqu’il s’agit d’une redistribution pour longtemps des pouvoirs sur cette planète.
Redistribution pour longtemps, à une période où tout s’accélère, une étude d’astrophysique récente constatant jusqu’à une accélération du temps cosmique ? Au moins jusqu’à ce que l’Afrique ne « s’éveille » à son tour (allusion au fameux titre de Alain Peyrefitte concernant la Chine) et redistribue les cartes, mais c’est pour un peu plus tard. Sauf que justement les Etats-Unis essaient d’y remplacer les deux vieux Empires de la Grande-Bretagne et de la France, … mais que c’est la Chine qui dans un habile jeu de Go qui voie loin remporte la mise pion à pion. Les chinois certes y placent les nouveaux États africains en dépendance relative, mais investissent dans des infrastructures de développement, pour des décennies, y créent des compétences, passent des accords durables, quand les « américains » ne laissent toujours au terme d’une période d’exploitation-aliénation, que des sites abandonnés derrière eux, tout y étant épuisé (ce qu’ils font d’ailleurs aussi habituellement sur leur propre territoire, après avoir mené sur les « peuples premiers » un des génocides les plus « réussis » de l’histoire de l’humanité !).
Choc du XXIè siècle, pour reprendre le concept développé par Naomi Klein, vison du « choc » juste puisque la mondialisation basée sur les marchés (et non sur les développements des peuples et des nations) selon les principes de l’OMC « si bien » promus par Pascal Lamy & al, est nettement ces dernières années mise en échec. Deux ensembles de domination dorénavant semblent se structurer : la Chine n’a pas achevé de retrouver son statut d’Empire du Milieu et a annoncée en clair son ambition de tenir la place principale, quand les États-Unis porteurs du néolibéralisme ne connaissent que la stratégie du choc. Nombreuses sont les études de sages et/ou d’experts qui développent sous tous les aspects tout cela. Toutes les grandes Centrales de renseignement travaillent en permanence à l’analyse et la prospective des divers scénarios possibles.
Et l’Europe ? Cette vieille Europe qui a envoyé aux Amériques les « surplus » de tous les peuples de ses nations et mis sous le joug les civilisations précédentes, puis a imposé à la Chine, pourtant toujours en avance depuis trois millénaires, l’humiliation écrasante que l’on sait dont cette dernière est en train d’achever de se relever. Se faisant d’ailleurs, cette si belle Europe a généré l’empire des drogues, à partir de l’opium, comme la série documentaire Histoire du trafic de drogue diffusée en mars dernier par ARTE l’a si clairement montré. Cette Europe a essayé après guerre de se refaire une jeunesse, par la construction de l’UE, … mais a échoué à profiter de l’opportunité de repartir à zéro devant tout reconstruire : enterrement de la Communauté Européenne de Défense, dépendance des States avec les engagements dans l’OTAN, traité mortifère de Maastricht, référence en bonne place de l’économie de marché dans ses textes fondamentaux, échec de l’opportunité d’une avancée Fédérale non-alignée (tentée en son temps par un Tito) avec l’implosion du soviétisme et la chute du Mur, trahison des référendums de plusieurs de ses peuples (dont ceux de France) par le Traité de Lisbonne, … j’en passe. Un Président américain disait à juste titre : L’Europe, quel N° de téléphone ? L’UE est devenue, seule puissance (elle est toujours le premier marché mondial) à respecter les principes de libre-échange et à renoncer au protectionnisme, une passoire. Ses soi-disant « élites » ont été, patiemment au fil des décennies car on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre, formatées à la mondialisation néo-libérale et à la pensée unique apprise à la Trilatérale et Bilderberg. L’infernal couple Thatcher-Reagan a accéléré le processus, jusqu’à la récente période « décomplexée » avec le début du XXIème. Il y a longtemps qu’un haut fonctionnaire français, sous le pseudonyme de Casamayor, a pré-décrit par plusieurs romans-documentaires le pouvoir des lobbies et des grandes multinationales sur des soi-disant « dirigeants » politiques, pouvoir tel que notre CE s’est carrément couchée sous leur influence. Le CETA après le TAFTA est rejeté par la porte, ils rentrent pas la fenêtre. Ce qui n’empêche pas la même CE de reprendre, discrètement, une attitude néo-colonialiste en passant quantité d’accords de libre-échange bilatéraux déséquilibrés avec l’Afrique et l’Amérique du Sud.
Pourtant, cette situation des Pays de l’UE est ressentie douloureusement par une proportion de plus en plus importante des populations. Les « élites » qui ne se sont pas laisser embrigader dénoncent cet état des choses. Mais les entreprises contrôlant la majorité des médias grand public font tout pour dénier, remplacer, modifier … bref manipuler l’information, en plus d’assurer la version moderne de « du pain et des jeux ». Ce bras armé de la majorité des pouvoirs actuellement en place « explique » ce que la « masse » doit savoir et comprendre. La dégradation en est à tel point que les anciennes recettes dignes d’un Goebbels sont de plus en plus ostensiblement utilisées. Néanmoins on ne contrôle quand même pas aussi aisément une large classe moyenne cultivée et des population qui aspirent à sortir des stress et mieux vivre, … à l’heure où au delà du transistor, la toile serrée d’internet met à disposition de tous non pas tout (loin de là) mais tant de choses, et permet tant de « partages ». Aussi, au sein de cette vieille Europe la contestation est croissante, déborde les minorités que le système tolère, d’où une situation d’incertitude et un fort risque d’instabilité systémique. Les Centrales de renseignement le suivent et le savent très bien : partant les « dirigeants » en sont informés.
Arrive le Coronavirus Covid-19, qui ne tue pas plus de monde que des pandémies antérieures, mais freine les économies jusqu’à reconnaître début Avril en arriver au niveau de la grande dépression de 1929. Tous (presque) les acteurs déclarent que la sortie ne peut être de revenir à l’état d’hier, ni même d’avant-hier. Il est évident et reçu que le système est en bout de course, et que là est l’opportunité d’une refondation en tous domaines. Cela se passerait donc en 2020 !
Aussi, les deux puissances en « choc » étant les États-Unis et la Chine, l’UE (et non l’Europe car la vraie Europe va de l’Atlantique à l’Oural) a la possibilité de se libérer des dominations outre-Atlantique, et de ne pas passer à côté de l’opportunité de s’affirmer cette fois comme nouvelle puissance d’un monde multipolaire en redéfinition. C’est une restructuration allant jusqu’aux fondamentaux de l’éthique, utile et nécessaire, qui là serait possible.
D’un côté les États-Unis sont en crise et fortement affaiblis. Cela fait des décennies que de grands penseurs et économistes américains eux-mêmes décrivent la dégénérescence de cette Fédération (en quoi la Californie ressemble-t-elle au Texas ou à New-York ?). Cet État a toujours exploité les autres, et éliminé les opposants à sa manière de voir. Son fantasme d’american way of life consomme l’équivalent de dix planètes aux dépends de tous les autres. Pour la plupart les p’tis gars (bien sur beaucoup sont morts) qui sont venus en 44 n’étaient pas les fils de riches mais de pauvres et de noirs (comme plus tard au Vietnam), et le Plan Marshall n’était pas gratuit mais une réédition du Cheval de Troie.
De l’autre côté, la Chine n’est pas seule, mais au Milieu d’un ensemble qui comprend la Russie et une dizaine d’autres États en coopérations sur la longue durée. La Révolution est proche d’être apaisée, et l’importance de la croissance des classes moyennes est telle que les régimes ne peuvent qu’évoluer, dans le cadre d’une tout autre mondialisation indéniable qui se dessinera « autrement ». Une des références de la Chine : la sagesse, dont l’expression en organisation par le confucianisme est au cœur de son inconscient collectif. L’investissement gigantesque dans les nouvelles routes de la soie, piloté dans une vison long terme, dresse le prochain tissage. La Chine sait négocier, pratiquant depuis toujours le jeu de Go, quand les américains ne peuvent l’emporter aux échecs sur les russes qu’au moyen d’artifices méprisables (partie de Reykjavík). La Chine et ses alliés vont eux-aussi tirer enseignements de leur apprentissage de la pandémie Covid-19. Déjà la toile de liens entre Chine, alliés de la Russie, Europe, Afrique, … existe et se développe.
Entre les deux (avant que l’Afrique ne s’éveille), l’Europe, si elle savait faire sa Révolution dans une Fédération des Régions-États riches chacun de leur culture, détient encore les potentialités de tenir sa place, spécifique. Il suffirait de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, et de développer ou réactualiser toutes les capacités tant culturelles qu’économiques, scientifiques, artistiques, de qualités humanistes et sociales … en tant de disciplines. Y procéder en coopérations de complémentarités dans son nouveau cadre global interne. Il faudrait le faire nettement, avec force, en mutualisant nos moyens de connaissances et de défense. L’option de la laïcité, dans la diversité respectée des convictions, serait à affirmer en tant que ciment spécifique. Nous sommes sortis des guerres de religion, et de la guerre religion/État du début du XXème, et devons dépasser clairement et fermement l’actuelle offensive islamiste. Si un des États actuels de l’UE n’en était pas d’accord, qu’il en soit immédiatement possible, avec simplicité.
Au moment où j’écris cet article, Marianne dans son N° 1205 du 17 au 23 avril publie États-Unis grosse déprime ou grande dépression. Comme je l’ai indiqué dans une conférence donnée en novembre dernier La Chine devenue première puissance mondiale … en pratiquant le jeu de Go, à quoi servent dix porte-avions avec leurs armadas, au temps des sous-marins nucléaires d’attaque, des dernières générations de missiles, … et surtout de l’Intelligence Artificielle !
Délire géopolitique, vraiment ? Nous savons ne plus avoir un seul mois à perdre en regard des enjeux éco-systèmiques. Le re-dessin (re-dessein) des puissances, partant des pouvoirs, doit avoir lieu ici et maintenant.
Michel André Vallée 18 avril 2020