SENS CONTRE IMPERMANENCE D’UNE NATION :EXEMPLE, OU CAS, DE LA CATALOGNE

« Quel Pays peut être indépendant ? … titre le Monde diplomatique en août 2022 page 9, article de Jean-Arnault Dérens. Les cas (dans l’ordre d’apparition dans l’article) du Kosovo, de la Catalogne, du Donetsk et du Loubansk, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, de la Crimée, du Sahara occidental, de Gibraltar, de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie, de l’Érythrée, du Timor-Leste, du Soudan du Sud, sont évoqués. Bien entendu, tous les autres cas (nous pensons à l’Écosse, au Québec …), si nombreux, pourraient l’être mais, ce qui importe là derrière les dialectiques des cas développés dans l’article, ç’est le point d’interrogation. Si une réponse était concevable (doutons-en), sur quel registre ?

La Charte des Nations-unies (unies ?) repose sur deux principes contradictoires en regard de la réalité des « terrains » : celui de la souveraineté des États et de leur intégrité territoriale d’une part, celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes d’autre part ! De plus, la Charte prévoit la catégorie spécifique des « territoires sous tutelle et territoires non autonomes » (dix-sept actuellement dont le Sahara occidental, Gibraltar et la Nouvelle-Calédonie …).
Dans la réalité, les cartes continuent sans cesse d’être rebattues tant en Europe (qui comme chacun sait va de l’Atlantique à l’Oural) qu’en Afrique et en Asie et Indonésie. Les avenirs sont incertains, tant en principe que par les faits. La vie n’est jamais figée, toujours évolutive d’un instant au suivant. L’impermanence est un des traits ontologique ( du point de vue de l’être en tant que soi), essentiel, en toutes choses, du plus petit au plus grand, du battement des ailes d’un papillon aux plus étendus et puissants des États.

En décembre 1991, la commission internationale pour la paix, présidée par Robert Badinter, a posé le principe qu’en Yougoslavie, seules les anciennes républiques fédérales pouvaient « prétendre » à l’indépendance, mais pas les entités de « rang » inférieurs (régions, provinces, territoires autonomes). Très vite, la réalité a balayé cela, par exemple avec le cas du Kosovo, imposé par l’OTAN ; mais le cas Kosovo a été validé côté Occident par « la violente répression menée pat le pouvoir Serbe !? Ainsi, là comme en tant d’autres lieux, l’usage de la force (bombardements de l’OTAN) a fondé le droit. Les cas comparables sont multiples ; chacun en connaît plusieurs.
Concernant le Kosovo, nombreux sont celles et ceux qui savent que l’État espagnol ne l’a pas reconnu, pour éviter de se trouver contraint du parallèle avec la Catalogne. Trait mineur « piquant » : quand le Monténégro a arraché son indépendance en 2006, la proclamation à Cetinje s’est faite avec une forêt de drapeaux catalans, les indépendantistes catalans ayant apporté leur soutien à une sécession démocratique et pacifique (mais au sortir de quelle guerre civile en Yougoslavie) ! Tant mieux pour les monténégrins, pour qui l’un des principes fondamentaux de l’ONU a fonctionné, l’UE se voyant obligée de s’incliner (55,4 % de oui par une participation de 86,5 %), quand le referendum de l’1-O a donné certes 90 % de oui mais par seulement 42 % des inscrits.

Mais est-il correct de comparer des cas aussi différents que le Kosovo et la Catalogne ? Évidemment non, quand les réalités historiques, culturelles, socio-économiques,…, géographiques, n’ont rien de comparables. Au plan géopolitique, la majorité des Pays d’Afrique, d’Asie et d’Amériques latines, ainsi que cinq Pays européens, ne reconnaissent pas le Kosovo. Regardant bien plus loin sur cette planète, comparer la Catalogne au Tibet ou au Xinjiang serait-il même pensable ? Que l’on s’abstienne de sourire sur ce trait car, si les véritables détenteurs du juridictionnel suprême en Espagne se trouvaient toujours dans un contexte européen dominé par Hitler et Mussolini, et si la « neutralité » de l’Espagne d’alors n’arrangeait pas les « équilibres » voulus par les USA, qu’en serait-il ? Les traitements des leaders indépendantistes et les persécutions (car elles le sont) poursuivies systématiquement sur plus de 5000 personnes correspondent bien au maximum que le juridictionnel espagnol actuel peut se permettre. S’il pouvait aller plus loin, ce serait fait. Que la Slovénie, la Belgique (pas la CE à Bruxelles), le Danemark, le Québec, l’Écosse, la Suisse, la Finlande, plusieurs Lands allemands, l’ONU à au moins deux reprises dont ces tout derniers jours … dénoncent voire condamnent cet état de fait, … s’en fouten.
IMPERMANENCE.

Quel Pays peut être indépendant ? Si pour d’autres cas cités, la question puisse être fondée, comment la poser pour l’aspiration à l’indépendance de la Catalogne, clairement exprimée par la moitié de sa population ? Car enfin, L’histoire de la Catalogne en tant que Nation connue et reconnue tant elle-même sur place que dans toute l’Europe remonte au XIIème siècle. L’État sous forme de royaume et de Generalitat, la bannière, une culture spécifique connue et reconnue sont partie de l’histoire de l’Europe. La langue structurée comme langue à part entière tout autant que les autres langues internationales, porte depuis des siècles une philosophie propre et une riche littérature. Son économie est mondialement respectée depuis des lustres, et le demeure malgré les exorbitantes ponctions fiscales et le brimage des investissements orchestrés par l’Espagne, à preuve la qualité des investissements de l’étranger. Tant à souligner encore, mieux présenté qu’ici par tant d’auteurs de qualité experts en leurs domaines !

Nous n’insisterons pas ici sur les attitudes, les jeux de palais d’une soi-disante élite, d’une partie de la classe politique catalane depuis l’1-O, quand l’essentiel de la population reste consciente et attachée à tout ce que ci-dessus. De grands éditorialistes, tel un Vicent Partal de Vilaweb le font de façon impeccable, travaillent tant le détail significatif que le regard géopolitique à un niveau méta, l’un ou l’autre toujours correctement instruits. Par contre presque toujours en catalan, ce qui continue de poser problème de connaissance et de compréhension « à l’extérieur » ; insister pour s’exprimer exclusivement en catalan se comprend quand on supporte depuis si longtemps l’interdiction puis les tentatives de réduire et éradiquer, … mais demeurer dans le pré carré a toujours été nuisible, sauf à choisir le sacrifice d’honneur du « dernier carré » (mais alors à quel prix). Ce sont les deux pratiques de front qui sont justes (ouverture aux mondes) et efficaces ( pérennité de la présence de sa propre nature).

Donc ce ne sont ni le droit international (la Société des Nations n’a en rien freiné l’arrivée de la seconde guerre mondiale introduite par la guerre d’Espagne), ni les grands principes d’annonces plus ou moins négociatoires, qui comptent vraiment.

Ce qui fait défaut à notre époque, ici comme ailleurs, c’est le SENS non seulement d’un projet mais de toute une Nation parmi les autres Nations. Plus d’assoir le sens sur l’assiette de son RAPPORT DE FORCE..
Nous traversons, au moins en Occident, un temps de délitement des valeurs, des idéologies. Derrière les belles paroles « politiquement correctes », seuls semblent demeurer les rapports de force, crus, cruels, réalistes. Un rapport de force peut exister en plein (puissance militaire effectivement actée avec intensité) ou en creux (détermination collectivement structurée solide du peuple kurde sur ses quatre territoires).
En fait, dans les deux contextes qui viennent d’être cités, le sens existe oh combien derrière le rapport de force posé : la perduration du mythe-volonté d’être le gendarme économique et moral du monde pour les USA, la restauration complète de son statut d’Empire du Milieu pour la Chine, l’évidence intrinsèque et partagée de la communauté d’être et de vivre respecté pour cette réalité par les kurdes (leur reconnaissance a été trahie au moins deux fois au plan international mais ils ne se sont pas laissés noyer dans l’individualisation).

La réponse à « Quel Pays peut-être indépendant ? est là : LE SENS APPUYÉ PAR SON RAPPORT DE FORCE. Et en rien dans le droit international, une fois de plus théorique bafoué par toutes les parties dans l’exemple de l’Ukraine.
Un rapport de force n’est pas théorique, mais une force telle qu’elle amène l’autre, les autres, à se trouver contraint de l’accepter partant agir suffisamment dans le sens souhaité, concrètement et durablement.
Dans le cas d’une Nation, le rapport de force doit exister simultanément sur les principaux domaines qui en font l’identité, ce qui implique de mobiliser en cohérence stratégique et tactique de nombreuses personnes de toutes qualités ; par contre le commandement politique ne peut qu’être homogène. En Suisse, seul Pays capable de mobiliser si nécessaire sa population en 24 heures à cette échelle géographique, un général est élu, pour le temps de la guerre (à la fin de la guerre il reprend un statut « habituel »).
Sens et rapport de force en synergie nécessitent absolument liens opérationnels avec des alliés, solides, à l’extérieur.

Qu’en est-il, au dernier trimestre de 2022, du sens et de son rapport de force, pour le projet indépendance de la Catalogne ?

Le sens ? Il reste partagé par plus d’une bonne moitié de la population dorénavant (récents sondages), et ce malgré les persécutions actées pour être démotivantes. Cependant ici comme dans tout le monde « occidental », l’individualisation, plus grande victoire actuelle de la pensée unique néolibérale mondialisée, impacte. L’intégralité des populations « occidentales » sont affaiblies. Par contre, si les temps faciles génèrent des hommes faibles, les temps durs génèrent des hommes forts.
La dureté même d’aujourd’hui, dans le contexte de la Catalogne encore traitée en colonie par l’Espagne, paradoxalement ouvre en soi de l’espoir, mais … à la condition de retrouver des porteurs, des leaders, crédibles, au sens.

L’autorité reconnue est à re-construire, non pas à re-installer avec la même caste, mais à créer de nouveau. Et ce sans peur, sans craindre le conflit et ses âpretés, ses épreuves, qui malheureusement peuvent aller jusqu’au prix du sang. La non-violence pratiquée droit dans ses bottes (derrière l’apparence populaire pacifique du symbole du rouet) par un Gandhi n’y a pas échappée.

Une négociation n’a de pertinence qu’au terme de démonstrations de rapport de force qui modifient les cartes, tant celles du minimum envisageable durablement que celles du maximum souhaitable à l’idéal (lequel ne se réalise jamais). Ployés sous les bombes, les vietnamiens ont dignement négocié la forme de la table avant de s’attabler aux contenus.
La « résistance active », c’est le minimum qui permette de retisser lien dans la durée de re-construction du rapport de force nécessaire.

Alors, comme le demande Vicent Partal : que veut le peuple ? Foin de toutes autres tergiversations.

Pendant ce temps, encouragements à celles et ceux qui entretiennent la culture partagée, traditionnelle comme renouvelée.

Ce qui est vu là pour l’exemple Catalogne tient évidemment pour de nombreux autres cas.

Michel André Vallée 1er septembre 2022

Hormis le traditionnel trimillénaire « L’art de la guerre » de SUN TZU chez Flammarion (1972 et 2017), quelques références récentes :
Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles, Bevin Alexander, Éditions Tallandier, 2017.
La Catalogne et l’Espagne les clefs du confliit, Ss la direction de Dominique Petitdemange et Marie-Christine Jené, Balzac éditeur, 2018.
Nou homenatge a Catalunya, Vicent Partal, Pausa, 2018.
Le dernier carré Combattants de l’honneur et soldats perdus de l’Antiquité à nos jours, BUISSON Jean-Christophe & SÉVILLIA Jean, PERRIN, 2021.
Vendre la guerre, Conessa Pierre, Éditions de l’aube, 2022.
Il faut une Révolution Politique, Poétique, Philosophique, BARRAU Aurélien, Éditions ZULMA les apuléennes, 2022.

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