Quelques « basiques » du STRESS

Pour reprendre les propos d’une enquête de « Entreprise & Carrières », « comment échapper au stress, lorsqu’il touche plus de 40 millions de personnes au travail dans l’UE (3ème enquête européenne conditions de travail de la Fondation Européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail réalisée en 2000) et représente un préjudice de plus de 20 milliards d’euros par an en frais de santé et perte de temps de travail et de productivité!

Le stress est déclaré « cause européenne », et a été considéré dans la stratégie communautaire de santé et de sécurité au travail 2002/2006 comme au cœur des dysfonctionnements de la vie au sein de nos organisations, liés à la vie hors travail.

Il existe de nombreuses définitions du stress. Le concept de stress apparaît pour la première fois avec les premiers travaux du tchèque Hans Selye publiés en 1936 dans Nature. Il est alors décrit comme un « syndrome général d’adaptation » présentant toute une symtomatologie commune « sans signes traduisant des réactions spécifiques de l’organisme à une maladie donnée », amenant ainsi la médecine d’alors à accepter une réaction non spécifique pour comprendre la maladie dans son ensemble, et sortant des schémas de causalité linéaire.

Le mot stress viendrait du moyen anglais stress (souffrance, détresse), de vieux français estresse (étroitesse), du latin vulgaire strictia lui-même du latin strictus (serré, étroit), participe passé de stringere (resserrer, tendre).

Selon le manuel d’orientation sur le stress lié au travail « Piment de la vie … ou coup fatal ? » de la Direction générale de l’emploi et des affaires sociales de la Commission européenne (1999), le stress est décrit comme un état réactionnel d’ « homme des cavernes » qui se produit en réponse à l’exposition à des facteurs de stress, et qui prépare l’organisme à la lutte ou à la fuite. L’individu « appuie sur le champignon » ou « met les gaz ». Aussi, selon ce manuel, cette réaction était la bonne lorsque l’homme des cavernes se trouvait face à un danger mortel immédiat, ce n’est plus le cas aujourd’hui lorsque des travailleurs s’efforcent de s’adapter au travail posté tournant, à des tâches extrêmement monotones et fragmentaires ou à des clients menaçants ou trop exigeants.

On verra plus loin que d’une part cette définition est partielle, d’autres part il est encore aujourd’hui certains contextes où ces réactions restent les bonnes.

Cette note a pour objet de mettre à plat quelques bases en matière de stress, bien entendu sans prétention d’exhaustivité, aussi il est nécessaire pour comprendre de quoi il s’agit de tenir compte des enseignements des dernières années venant des diverses pratiques et disciplines.

Parmi celles-ci, les neurosciences ont sensiblement modifiées la donne. Ce serait une attitude scientifique que d’en tenir compte dans toutes les autres disciplines qui vont s’en décliner, … jusqu’à l’organisation du travail et la gestion.

En l’état des connaissances, le stress est constitué d’un ensemble de mécanismes de réactions que les humains partagent avec tous les mammifères. Pour simplifier, ces mécanismes empruntent deux types de circuits, des courts et des longs (relativement longs). Nous sommes en permanence, et simultanément, « gérés » selon ces deux circuits.

Les circuits courts se déclenchent sans que nous en ayons clairement conscience, car ils sont gérés en millisecondes par le SNC (système nerveux central) et les systèmes sympathiques. La perception du danger se situe au niveau infra-conscient, le corps ayant conscience que quelque chose se passe. Au niveau du cerveau la régulation, opérée dans la zone de l’amygdale, dont la réaction est mémorisée par l’hippocampe, enclenche la fonction glycogénique du foie, d’où les glucides nécessaires aux deux comportements évoqués plus haut, la lutte ou la fuite.

Les circuits longs passent, après un relais par l’hypothalamus, par le contexte préfrontal, qui permet, avant de réagir, de penser d’abord à la situation, par l’appareil à « penser les pensées ». Ce second circuit permet, avec la répétitivité des expériences, d’ « apprendre » d’autres réactions que celles du premier circuit. C’est ce qui se passe dans tous les métiers.

Ce second circuit peut donc pondérer le premier. Mais en réalité, compte tenu de l’état de développement de l’humain, les deux circuits continuent de fonctionner simultanément et se complètent, les premiers précédant toujours les seconds avec un temps, même infime, de décalage.

Ce double état de mobilisation constitue la base des phénomènes de stress. Il y a une très forte émotion, plus ou moins bien maîtrisée. Le phénomène est individuel, différent selon les constitutions. Cependant les apprentissages pour le maîtriser peuvent être, partiellement, collectifs.

Dans le meilleur des cas les personnes entraînées peuvent « réagir » en fonction de leurs apprentissages, mais pas tout un chacun. Pour les personnes non entraînées, le SNC est d’abord comme « sidéré » par la situation. Le fonctionnement de « pensée des pensées », même s’il suit assez rapidement, n’est pleinement efficace dans sa fonction que sous 24 à 48 heures, et en tout cas avec une nuit de sommeil. On verra que le sommeil importe tant dans le diagnostic que dans les traitements du stress. Il permet aussi avec les rêves la fonction symbolique et vitale d’intégration entre conscient et inconscient. La réduction de la fonction rêve entraîne de graves troubles psychiques, et son absence est mortelle.

Si la personne est en état de faiblesse, ou déstabilisée, ou se trouve surprise dans un état de décompensation psychique, alors les premiers circuits peuvent l’emporter sur les seconds circuits. Dans certains contextes professionnels, tels le déminage, un sur-apprentissage est destiné à permettre un sur-contrôle de l’émotion. Des études menées par une équipe du Professeur Cary L. Cooper ont mis en évidence que les démineurs derrière leur attitude de concentration calme ont peur avec une forte intensité émotive mais sont amenés à une maîtrise « exceptionnelle » ; ils n’échappent par pour autant à l’angoisse ou la terreur liée au micro-temps de décalage, et son impact sur leur organisme, mais « sont entraînés ».

Ajoutons qu’en regard de « tout ce qui s’est passé » dans un événement de stress. :

  • –  d’une part la conscience ne se surcharge pas au delà d’un certain seuil variable selon lessujets, et le mental procède à une mémorisation
  • –  d’autre part ce que l’inconscient connaît comme non supportable (à ce moment ou cettepériode) par l’individu est refoulé, ce qui constitue une défense de l’individu, dans sonétat du moment.
    En regard des évènements et contextes nouveaux l’inconscient met cependant toujours un certain temps à réagir et adapter ses configurations. Par contre ensuite, une fois intégré, le processus défensif fera que toute évocation, même minime, entraînera un mécanisme de défense immédiat, … même si celui-ci peut devenir, au fil du temps inefficace voire nuisible.

En psychosomatique il ressort actuellement que trois sous-systèmes composent l’appareil mental et psychique :
– émotions
– comportements

– pensée
… lesquels s’ils fonctionnent simultanément peuvent être déconnectés entre eux. Les trois vont jouer dans la fonction des décharges.

La décharge dans les comportements, issue de l’émotion face à une situation, crée une tension d’où un accroissement de l’excitation sensorielle et motrice, une sorte de « surchauffe » de tous les circuits. Celle-ci crée de la souffrance tant au niveau du SNC que des systèmes sympathiques et parasympathiques, d’où des conséquences en chaîne dans l’organisme et jusqu’à la structure de la personnalité, conséquences de développement ou de régression- protection voire destructrices.

Il y a nécessité de décharger la surcharge, ce que chacun de nous agit selon son expérience personnelle. La plupart se déchargent dans les comportements (claquer la porte, crier…), avant que l’appareil à « penser les pensées » se mette en marche.
D’où dans tous les cas il est utile d’en parler, de verbaliser, d’aider les personnes stressées à « penser » la situation, pour pouvoir arrêter ou pondérer , dans les cas traumatiques, les processus se déclinant dans l’organisme et la personnalité. Actuellement l’arrêt du processus est dans notre société généralement mis en œuvre par :

– la chimie des médicaments
– les psychothérapies (même si elles ne portent pas ce nom) comportementales et/ou cognitives.
Cependant, même avec un travail de décharge, voire si nécessaire un travail de deuil, le corps garde tout en mémoire. Les thérapies psycho-corporelles, qui apparaissent de plus en plus appropriées, sont heureusement en voie de développement. Toutes ces thérapies sont indispensables, sauf qu’elles s’appliquent aux effets et à une partie de la dimension individuelle des causes. Il importe de rechercher l’action préventive sur l’ensemble des causes, et plus généralement la promotion des conditions de vie et de travail adéquates.

En 1997, la Direction Générale V de l’UE définissait le stress comme une réaction émotionnelle et psychophysiologique à des aspects du travail, un environnement du travail et une organisation du travail défavorables et contraires. Le stress est un état caractérisé par un niveau d’activité et de contraintes élevé, lequel génère souvent le sentiment de ne pas être capable de gérer la situation.

Ce dernier trait, ne pas gérer la situation, est en effet caractéristique du stress. Le sentiment de contrôler (« locus of control » selon Cooper) la situation est, dans notre culture, une des dimensions importantes dans l’état de bien-être individuel. Dans les problèmes de locus of control on a le sentiment de ne pas être dans la capacité de contrôler ou sans pouvoir sur les contraintes. Cette réalité est subjective, relève de la perception (et de son apprentissage culturel), et peut être à l’origine du stress organisationnel. La situation peut être perçue comme subjectivement non contrôlée alors que le lieu de contrôle est en fait à l’extérieur du sujet. Cette perception peut se manifester aussi dans toutes les situations conflictuelles, de violences, de harcèlement.

Ce trait culturel important est fortement lié au « noyau narcissique » de la personne, lieu du contrôle interne. Il est possible de toucher là à quel point l’essence de l’individuel et l’essence du collectif sont étroitement liées. La psychanalyse nous a appris qu’à ce niveau sont en jeu tous les mécanismes psychiques liés à la mise en place de l’apprentissage du contrôle sphinctérien, et à partir de cet apprentissage de celui de l’autonomie de l’être humain. Quelque soit le contexte collectif, il est bien reconnu que chacun va réagir différemment à un même contexte, et que tout dépend de l’histoire individuelle, de l’histoire qui a permis de passer de contrôle physiologique à mental.

Ainsi chacun est plus ou moins dans la capacité de se défendre, selon le degré de mise en place chez lui du noyau narcissique, face aux situations de stress vécues au sein de l’organisation.

Au regard des témoignages et de la confrontation du travail clinique de nombreux praticiens de nos sociétés occidentales dites industrialisées, il est même possible de constater que la structuration mentale baisse globalement, en moyenne, de niveau de résistance. L’appareil psychique dépendant en bonne part (sans négliger pour autant l’inné spécifique de chacun) de l’éducation parentale et des cultures de sociétés rencontrées, les populations apparaissent fragilisées, de nombreux individus sont devenus incapables de se défendre, et de plus en plus vulnérables aux situations de stress.

Cet état peut être partiellement compensé par l’entraînement, individuel et collectif. Si apparaissent utiles des restructurations individuelles de fond cela peut impliquer un travail de psychothérapie analytique éventuel, complémentaire à l’action sur le comportemental, le cognitif, et le corporel.

Ainsi donc dans les états de stress des structures de personnes sont en intéraction avec des événements, dans des contextes organisationnels collectifs.

La définition de la DGV est non satisfaisante d’un point de vue scientifique. En effet le stress en soi n’est ni négatif ni positif, c’est un « état », état vécu par l’individu, et dans certains contextes par le collectif. Cet état est caractérisé par des degrés élevés d’éveil et de souffrance et/ou, selon les écoles, de plaisir. C’est un état de mobilisation de tonus multifactoriel. Par contre, si dans certains contextes l’état de stress peut contribuer à l’initiative voire même la créativité, la tension répétée et persistante sur une conjugaison toujours individuellement spécifique de déterminants devient, au delà de plusieurs paliers de tentatives de régulation, pathogène.

À ce niveau est impliquée la façon dont a été mise en place le « noyau masochique » de chaque individu. La forme de développement liée au contexte peut en effet être ambiguë dans la mesure où, dans la souffrance, existe le plaisir du déplaisir. Le plaisir dans la souffrance constitue un point important, central, de la fragilité humaine, puisqu’il conduit, induit, à ne pas se défendre. C’est une partie de ce qui se passe dans tous les cas de harcèlement et pour les personnes violentées. C’est ce qu’exploitent, souvent par « habitude d’essais et erreurs» et sans vraiment en comprendre le processus, tous les manipulateurs du pouvoir. Il serait temps d’oser objectiver et considérer les processus de type noyau masochiste si on veut parler sérieusement des effets du stress, … ainsi que des contextes de violences. Pour une personne, le noyau masochiste insuffisamment construit (ce qui est le cas de la majorité) constitue un état pathologique qui ne permet pas de déclencher les mécanismes de défense mentaux. Les gens, là encore, sont démunis, avec généralement un court-circuitage des mécanismes de la volonté, moyennant quoi ils se trouvent en danger de somatisation (bien entendu inconsciemment).

En contraste il est possible de dire que quiconque a confiance en soi et sait assumer le conflictuel peut vivre, en situation, l’appréhension ou le tract mais limite considérablement les réactions des deux circuits du stress. Cette confiance en soi peut être liée chez certains à des réserves potentielles de résilience, susceptibles d’être « éveillées » et devenir opératoires lors d’épreuves de la vie, puis de se renforcer au travers de ces expériences.

Globalement la vie est dépendante d’un certain niveau d’excitation sensorielle, et un certain niveau de stress est nécessaire à la vie. Ainsi, dans les entreprises, la « gestion par le stress » peut être criminelle (eu égard aux conséquences possibles) tout autant que nécessaire au développement. La question est : quelle nature et niveau de stress sont compatibles avec la vie ?

Cependant, si certaines entreprises intègrent dans leur culture de management l’entretien systématique d’une tension de stress et le valorisent, si d’autres (peu nombreuses) sont attentives à suivre le phénomène et le gérer sans a priori sur le « positif » ou « négatif », la plupart des acteurs le connaissent et comprennent sous son aspect pathogène.

Le slogan de l’Agence de Bilbao en 2002 est significatif : « Travailler sans stress », ce qui scientifiquement est une abération car cela voudrait dire « être inerte » … mais ce slogan s’adapte à la lecture de la majorité, et a l’avantage de viser le vrai objectif, simultanément utopique et cible, de la prévention, à savoir « pas de risque ».

Cary Cooper lui-même, un des premiers experts internationaux reconnu en matière de stress, en accord avec cette réalité, oriente cependant les générations successives de questionnaire d’audit dont il a piloté la conception depuis 1976 en explicitant que le stress professionnel « est considéré », en général, comme une réaction à des situations et à des circonstances qui imposent des exigences particulières à un individu et dont le résultat est négatif !

Ayant compris les mécanismes du stress et ses conséquences,

à l’origine du stress (donc versus pathogène) on trouve une inadéquation entre l’homme et ses diverses activités, et d’abord son travail, des conflits entre ses rôles au travail et en dehors du travail, et le fait qu’il ne possède pas un degré « normal » de maîtrise de son travail et de sa vie.

Donc la gestion comme la prévention s’appliqueront à travailler à la conception et au retournement « positif » des facteurs, des déterminants d’inadéquation, … et à en assurer la promotion durable au fil de l’évolution des connaissances.
Gestion et prévention devraient elle-même être conçues en fonction de ces acquis.

Le stress au travail peut ainsi être dû à la conjonction de plusieurs facteurs parmi une multitude de facteurs potentiels possibles, lesquels combinés peuvent constituer des situations de risques en regard de la santé mentale. Parmi ceux-ci on trouvera couramment :

  • –  charge de travail excessive ou insuffisante
  • –  sollicitation constante de l’attention, ou sous-sollicitation
  • –  temps insuffisant pour achever le travail à son entière satisfaction et à celle des autres
  • –  introduction de nouvelles méthodes de travail ou de nouvelles technologies
  • –  absence de description de poste précise ou de chaîne de commandement
  • –  pas de reconnaissance ni de récompense pour un travail bien fait
  • –  pas de possibilité d’exprimer des doléances
  • –  climat de tension sociale permanent
  • –  nombreuses responsabilités, et peu d’autorité ou de pouvoir décisionnel
  • –  supérieurs, collègues ou subordonnés peu coopératifs ou n’apportant pas ou peu de soutien. Problèmes avec les uns ou les autres.
  • –  insuffisante maîtrise ou fierté du produit fini de son travail
  • –  insécurité de l’emploi, poste non permanent, ou incertitudes sur les perspectives
  • –  exposition aux préjugés concernant l’âge, le sexe, la race, l’ethnie ou la religion
  • –  exposition à la violence, aux menaces et aux brimades
  • –  conditions de travail physiques désagréables ou dangereuses
  • –  peu de possibilité d’exploiter efficacement ses aptitudes ou ses dons personnels
  • –  décalage entre la nature des erreurs et l’ampleur de leurs conséquences
  • –  doublage entre un « fardeau » au travail et un autre « à la maison »
  • –  cumul des tensions internes à l’entreprise avec des conflits travail/famille, ainsi quand lavie de travail interfère avec les relations aux partenaires, enfants, autres collectifs danslesquels l’individu est impliqué
  • –  tensions dans la gestion des temps entre les activités dans et hors de l’entreprise
  • –  etc … etc … etc …Le réactionnel du stress, on l’a vu, porte simultanément sur l’émotionnel, le cognitif, le comportemental et le physiologique.

Au premier regard les premiers signaux sont physiques et psychologiques :

  • –  physiques: les premières réactions sont une accélération cardiaque, des troubles respiratoires, et de nature vasculaire (paleur ou rougeur de peau). Quelque chose ne va pas si les symptômes persistent. Viennent aussi rapidement le mal de tête, la perte d’appétit. Les symtômes tels la fatigue permanente et la tension sanguine sont déjà desconséquences de troubles installés.
  • –  psychologiques, avec toutes les modifications des capacités cognitives etcomportementales, dont l’irritabilité, la réduction de capacités sensorielles, la perte de concentration, la difficulté à prendre une décision. Il s’ensuivra une usure, pas toujours évidente à discerner car elle peut être pendant un temps compensée par l’attention et la vigilance. Mais un effort trop permanent d’attention à propos de capacités différentes est révélateur d’une déficience. Avec l’accroissement de la vigilance, l’état d’irritation croît, et se génère une véritable usure nerveuse. Les fonctions habituelles sont trop investies, … et le corps qui prends sur lui commence à « parler ».Aussi pour le diagnostiquer il s’agira d’identifier, au plan individuel, et individuel au sein de collectifs
    • –  réactions émotionnelles
    • –  réactions comportementales
    • –  types de mobilisation du tonus (sur…, sous…)
    • –  état de maîtrise de la situation, ou au contraire inadéquation entre la personne et sontravail
    • –  manifestations d’insatisfaction au travail, et réduction des ambitions
    • –  capacités de régulation, et troubles de ces capacités
    • –  capacités de récupération, et troubles de ces capacités
    • –  dans la vie hors travail :. absence d’exercice physique corporel . troubles du sommeil
      . situations de dépendance oppressantes . histoires personnelles difficiles. insuffisance d’hygiène de vie, dont l’hygiène alimentaire

… et une cohérence entre plusieurs troubles et pathologies qui seront du type :

  • –  diminution ou troubles de capacités physiologiques (ex :respiratoires…) et réactionnelles
  • –  troubles de santé mentale : dépression, angoisse, anxiété, détresse…
  • –  consommation de psychotropes, addictions …
  • –  affections musculo-squelettiques
  • –  affections graves des capacités cognitives
  • –  troubles du sommeil
  • –  maladies gastro-intestinales
  • –  cardiopathie et accident vasculaire cérébral
  • –  développement d’allergies
  • –  problèmes de surcharge pondérale
  • –  troubles du système immunitaire
  • –  accidents professionnels
  • –  accidents , suicides.
  • –  etc … etc ; etc ..
  • .Chacun de nous est sujet à risque, et chacun a son (ses) points de rupture, très différents des uns aux autres. C’est ainsi que le mal-être au travail, l’insatisfaction au travail, sont assez spontanément attribués au caractère personnel de qui les exprime ; ou parfois sont attribués à certains traits de caractères supposés communs à toute une population : les jeunes, les vieux, les anciens, les femmes, les chefs, eux, le personnel de tel service… Les singularités de chacun vont jouer dans les formes concrètes de la crise : les mêmes facteurs, les mêmes conditions du travail vont engendrer une palette de symptômes et de signes extrêmement différents dans une population donnée. Aux mêmes contraintes, certains vont réagir en développant un trouble musculo-squelettique, d’autres par des troubles du comportement (addiction, violence…), d’autres encore par décompensation psychique, d’autres s’en sortiront au travail au détriment de leurs relations sociales hors travail, d’autres passeront à travers sans complication perceptible, d’autres y trouveront apprentissage et développement.À partir de l’observation de nombreux cas, il est possible de poser une hypothèse, celle que les processus de somatisation sont directement reliés aux procédures d’absence au travail. Selon ce qui dans une culture donnée (celle-ci peut aller jusqu’à se réduire au niveau d’une entreprise, voire de l’un de ses sous-ensembles) est considéré par la collectivité comme recevable ou non, exprimable ou non, et selon les conditions concrètes de gestion des absences, chacun, et plusieurs au sein d’un même collectif, pourront développer telle ou telle famille de somatisation. Comment est-il «possible» de tomber malade? Même si les individus selon un processus inconscient « choisissent » leur maladie selon leurs fragilités, il est ainsi possible récemment de poser l’hypothèse qu’une TMS est plus « exprimable » que la dépression ou l’angoisse.Il est nécessaire aussi de tenir compte que certaines catégories de populations sont (en moyenne) plus exposées au risque :
  • –  insuffisance des mécanismes de défense
  • –  vivre et travailler dans des conditions socioéconomiques défavorisées
  • –  absence de soutien social
  • –  âge (travailleurs adolescents et d’âge mûr)
  • –  le sexe conjugué à une charge de travail excessive (ex : mères célibataires…)
  • –  les invalidités physiques et/ou mentales

… sachant que les personnes particulièrement à risque sont souvent plus exposées à de mauvaises conditions de vie et de travail. Vulnérabilité et exposition coïncident fréquemment.

Pour identifier les déterminants des états de stress, de nombreux modèles existent, objet depuis des années de multiples publications au travers desquelles les écoles se confrontent.

Un des modèles le plus connu a été défini et régulièrement développé depuis les années 70 par Cary L. Cooper. Ce modèle, systémique et qui se veut exhaustif, a débouché sur des outils d’audit du stress professionnel, régulièrement développés et réactualisés, objets de copyright susceptibles d’autorisation à des fins de recherche.

Parmi les modèles les plus connus aussi développé depuis les années 1970 et spécifiquement dédié au stress figure aussi celui de Karasek, enrichi plus tard par celui de Siegrist, qui ont développé de façon originale, liés à l’exercice du management, des dimensions intégrées dans le modèle de Cooper. Ils en testent donc certaines variables, et de ce point de vue sont incomplets dans la prise en considération de toutes les dimensions du stress, qui est pourtant un phénomène toujours à variables multiples. Par contre le modèle de Karasek l’objet de multiples validations de type épidémiologiques.

L’OSH fédéral allemand de Dortmund a identifié plus de soixante modèles validés, sans parler les nombreux autres outils non validés scientifiquement proposé sur ce qui est devenu le » marché du stress ». Parmi les modèles validés et pratiqués, sans exclure pour autant personne ce faisant (car certains modèles et questionnaires moins connus peuvent être plus pertinents dans certains contextes) retenons toutefois ceux de :

  • –  demande /autonomie/soutien de Karasek
  • –  équilibre contributions/rétributions de Siegrist
  • –  transactionnel de Lazarus et Faulkman
  • –  psychodynamique de Dejours
  • –  multicritères de Copenhague, dit « Nordique »
  • –  intégrateur de Cooper, complété ensuite par Vézina
  • –  Homéostasis de Prague
  • –  WOOCQ de l’Université de Liège
  • –  Tensions / régulations de l’ANACT.À noter que le WOOCQ a été coopté comme optimal par plusieurs grandes entreprises françaises investies dans une démarche de benchmarking au début des années 2000, notamment car :
    – à la fois suffisamment discriminant et pas trop lourd pour être accepté par le personnel,- non connoté idéologiquement,
    – objet d’une revalidation régulière enrichie par les suivis de mise en œuvre.Le modèle de Cooper a été identifié en Mai 2002 à la DG Santé de la CE comme modèle de référence de base dans les travaux européens concernant les facteurs psychosociaux.
    Les questionnaires outils d’audit sont validés au plan scientifique, tant sur les champs organisationnels que médicaux et de la psychosociologie clinique. Même s’ils sont basés sur le fait que les sources de stress peuvent être liées aussi bien au travail qu’à la vie privée, les indicateurs sont élaborés en prenant en considération le contexte professionnel et l’organisation, en vue d’améliorer l’un et l’autre. Il s’agit de diagnostiquer les effets du stress au bénéfice mutuel des individus et de l’organisation concernée.

Selon le modèle descriptif du stress de Cooper, les entrées en terme de déterminants toujours multiples de stress au travail y sont regroupés dans des familles de facteurs :

  • –  facteurs intrinsèques à l’activité : conditions de travail, sur ou sous charge, pressions liéesau temps, responsabilité de vies humaines, danger, …
  • –  facteurs relevant du rôle dans l’organisation : ambiguïtés/conflits de rôles, adaptation etconflits de responsabilités, …
  • –  les facteurs relevant du parcours professionnel et de ses développements : sur ou sous-évaluation et promotions, précarités, ambition contrariée…
  • –  facteurs relevant des relations professionnelles : qualité et quantité des relations avec lessupérieurs, les subordonnés, les collègues, effets pervers, difficultés de délégations deresponsabilités …
  • –  facteurs relevant de la structure et du climat organisationnels : participation aux processusde décisions, restrictions du pouvoir de décision (budget, etc…)politique générale,absence de consultation …
  • –  facteurs relevant des interfaces avec la vie hors travail : problèmes familiaux, crises de lavie …De la combinaison spécifique à chaque contexte et à chaque situation se décline un état de stress au niveaux des individus, de chaque individu, et peut l’être aussi au niveau des collectifs. Dans leurs activités au sein de collectifs, les individus, même isolés, sont pris dans des dynamiques de groupe. Ces effets de groupes jouent sur leur entendement de la situation. Ainsi les «idéologies défensives de métier» en constitue un des exemples les plus significatifs. Ces stratégies inconscientes de groupes modèlent, par exemple, la perception que les ouvriers du bâtiment ont de la réalité au point de leur faire dire, non sans ambiguïté parfois, qu’il n’y a aucun risque sur un chantier. La dénégation du risque est une construction de groupe, transmise, entretenue.La perception des situations par les personnes ne dépend donc pas uniquement de déterminations individuelles. L’écoute comme le regard dépendent aussi largement d’une construction sociale où entrent en jeu des facteurs conscients et inconscients.
    Il en est de même des modalités d’expression du vécu.L’état de stress est perceptible, plus ou moins selon son développement et sa nature, selon des paliers. Cet état assure le lien entre les risques et les effets sur la santé et les dysfonctionnements … ou au contraire la créativité et la survie.Cet état de stress entraîne des symptômes au plan individuel et au plan de l’organisation :
  • –  au plan individuel de nombreux symptômes possibles notamment ceux listés plus haut.
  • –  au plan de l’organisation divers dysfonctionnements possibles mais notamment (en l’étatdes outils d’aujourd’hui)
    . un accroissement sensible de toutes les formes d’absence
    . un accroissement du turnover
    . des liens avec les accidents du travail plus graves et fréquents, avec les maladies professionnelles, à l’analyse des causes et contextes
    . des tensions et problèmes des relations sociales et de dialogue social, allant
    • –  soit au conflictuel
    • –  soit au désinvestissement collectif
    • –  soit à la rigidification protectrice des attitudes au travail …. des problèmes sensibles sur la productivité et la qualité, médiocres …

. des problèmes sur l’investissement, l’inventivité dans l’adaptabilité aux situations, la créativité …

Au-delà de seuils de régulation corrective court terme (récupération naturelle court terme et évitement de l’usure …), les dysfonctionnements manifestés par ces symptômes, qui sont autant de signaux plus ou moins intenses, vont générer des « maladies » :

  • -au plan des individus notamment dans le domaine de la santé physique et mentale (par exemple 100000 accidents cérébro-vasculaires par an en France)
    -au plan de l’organisation notamment sur les champs des conflits sociaux et du non- dialogue social, des accidents du travail de plus en plus fréquents et graves, du désinvestissement de plus en plus grave

Les constituent alors en soi, selon la logique systémique, des entrées « déterminants ».
Le modèle de Cooper induit un traitement de la question du stress au travail simultanément curatif et préventif, court et long terme, toujours pluridimensionnel (selon le diagnostic), afin de renverser le « cercle vicieux » en « cercle vertueux ».

Le modèle de Karasek développe l’hypothèse que la situation à risque est définie par la combinaison d’une forte demande et d’une faible latitude et accrue par un manque de soutien :

  • –  la demande est définie par la charge psychologique associée à l’exécution des tâches, à laquantité et à la complexité des tâches, aux tâches imprévues, aux contraintes de temps,aux interruptions, et aux demandes contradictoires.
  • –  la latitude intègre deux notions :. autonomie décisionnelle ou contrôle = la possibilité de choisir comment faire son travail et de participer aux décisions qui s’y rattachent
    . utilisation des compétences = possibilités d’utiliser ses compétences et qualifications et d’en développer de nouvelles
  • –  le soutien social au travail est socio-émotionnel et instrumental. Il intègre l’aide et la reconnaissance des collègues et des supérieurs.Le modèle de Siegrist est centré sur l’équilibre entre le niveau des efforts investis et des récompenses ou rétributions en regard. Le stress résulterait d’un déséquilibre entre efforts et récompenses accompagné d’un niveau élevé de surinvestissement.
    Les récompenses relèvent de l’estime, des perspectives de promotion et de salaire, et de la stabilité de la situation de travail.Siegrist distingue les efforts « extrinsèques » (proches de la « demande » de Karasek) des efforts « intrinsèques » de surinvestissement (besoin d’approbation, compétitivité, hostilité, impatience, irritabilité …).
    L’exposition à un déséquilibre entre efforts extrinsèques et récompenses est un facteur de risque potentiel, de même qu’un taux élevé d’efforts intrinsèques (ou surinvestissement).

PRÉVENIR ET RÉDUIRE L’ÉTAT DE STRESS

On l’a vu, le stress n’est pas uniquement le fait de problèmes personnels en décalage avec les conditions de travail, mais résulte de l’interaction de déficits techniques, organisationnels et de management, de demandes ou prescriptions inadaptées ou trop élevées des situations de travail (y compris en regard des situations hors travail), avec les caractéristiques spécifiques des personnes impliquées.

D’une manière générale l’engagement et la façon de combattre le stress dépendront de la culture de l’entreprise, des cultures des métiers concernés, et des procédures de décision du management.

Tout va dépendre de la philosophie du management, de « comment on considère la personne». La personne est-elle considérée comme «objet» ou comme «sujet»? La pratique du pouvoir au sein de l’organisation correspond-elle de fait à une mise en dépendance d’autrui, ou vise t’elle en même temps que la performance le développement d’autrui ? La communication interne, et donc les politiques qu’elle exprime, masque t’elle ou clarifie t’elle les repères qui permettent de décider, gérer, réguler, éxecuter, négocier … en confiance ?

Sinon on se trouve dans une logique considérant les personnes comme objets, considérant comme le plus efficace d’entretenir leur dépendance, dont les repères réels sont méconnus et conçus par d’autres acteurs, de type taylorien … logique où n’existe que le travail et non la personne.

En fonction de cet état de la philosophie du management de l’entreprise, il est nécessaire préalablement à toute action de mettre en évidence jusqu’où les membres de l’entreprise sont susceptibles de participer, dont dans quel « état » et avec quelles capacités pour ce faire. La stratégie et le plan d’action gagneront toujours à être dressés avec la participation des personnels.

Il sera nécessaire de reconnaître le stress comme tel, en soi ou dans le cadre plus vaste des politiques de conditions de travail, d’organisation et de management, car il existe de nombreuses raisons pour ne pas en faire état : habitudes, culture de l’entreprise, faiblesse de la communication, culture défensive de métiers, isolement, insécurité au travail ….

En fonction de la culture de l’entreprise, ou de l’unité de management pertinente, et dans ce cadre contextuel, la prévention et la lutte contre le stress passera par de multiples mesures conjointes, ciblées et continues, notamment sur les champs suivants :

  • –  la conception de l’équipement de travail et des lieux de travail
  • –  un travail mieux en rapport avec les qualifications et des apprentissages adéquats
  • –  des changements d’activité qui évitent tant la monotonie que les charges excessives
  • –  une perspective dans le temps qui permette des évolutions, notamment vers toujours plusd’autonomie
  • –  le renforcement des capacités individuelles permettant de faire face sur les différentsregistres utiles aux conditions difficiles.

Plusieurs orientations des mesures à prendre concernent l’organisation du travail et le management des compétences

  • –  s’assurer que les tâches et les qualifications correspondent de telle sorte à ce que le travailsoit une opportunité de challenge et non une demande trop basse ou trop élevée. D’où desdémarches d’éducation, de formation et d’apprentissage adaptées.
  • –  organiser une prescription de ce qu’il y a à produire suffisamment claire, en cohérenceentre l’information reçue et les exigences de l’organisation.
  • –  programmer le travail afin d’éviter les fortes pression en fin de périodes de travail.
  • –  éviter la monotonie.
  • –  développer l’autonomie. Solliciter la connaissance, les capacités et compétences. Laconception du travail devrait prévoir un contenu intéressant susceptible de contribuer au développement des personnes. Ainsi des tâches exigeantes doivent s’accompagner d’une liberté d’action et de décision susceptible de compenser l’émergence possible de stress.
  • –  prévoir des retours individuels d’information permettant à chacun d’identifier ses forces et faiblesses et d’optimiser ses performances.
  • –  assurer un style de management où les employés sont respectés en tant que personnes.Quatre principes de prévention sont spécifique en regard du stress, Il est indispensable qu’ils impliquent fortement la Direction de l’entreprise.
  • –  principe d’intégration > les mesures de prévention du stress doivent affecter toutes lesdécisions prises au sein de l’entreprise.
  • –  principe d’organisation > la prévention ne doit pas être une réparation, mais doitinfluencer l’organisation et la planification de manière à anticiper sur les évènements.
  • –  principe de coopération > la prévention du stress n’est pas uniquement l’affaire de quelques experts, mais aussi celle des cadres, des conseils d’entreprise et du personnel. Lacoopération nécessite la mise en place de structures de coopération.
  • –  principe de participation > engagement et implication des personnes concernées ; les personnes qui sont interrogées, qui participent aux activités, qui s’engagent, doivents’identifier au projet.En prenant pour cible idéale la prévention « zéro risques », les mesures ciblées visent à éliminer ou minimiser les causes, soit autant que possibles les « stresseurs », sans mettre en cause une dynamique de challenge équilibrée.
    Bien évidemment la démarche comprendra :
  • –  analyse des causes
  • –  bien structurer et planifier le travail
  • –  fixer clairement les objectifs et les priorités
  • –  optimiser les conditions de travail
  • –  créer des rapports de coopération
  • –  améliorer la qualification professionnelle
  • –  créer des cercles de travail au sein de l’entreprise, même si les collectifs de productionfonctionnent sainement en tant que collectifs.Les « stresseurs » du champ travail ?

Ce sont toutes les contraintes connues et issues des diagnostics, génératrices de stress et de dysfonctionnements, dont celles listées plus haut dans les domaines de :

  • –  l’environnement de travail, jusqu’aux stratégies de l’entreprise
  • –  les contraintes liées au travail
  • –  l’organisation du travail, les procédures d’organisation, les responsabilités
  • –  les modes de gestion
  • –  la combinaison entre charge de travail et pression du temps
  • –  l’orientation, le sentiment de sécurité
  • –  la marge de manœuvre, la latitude de décision, l’autonomie,
  • –  le climat social
  • –  le support social reçu de l’environnement
  • –  les relations à la vie hors travailRappel à ce niveau de généralités : l’effet d’une situation de contrainte dépend aussi de la perception individuelle et de l’évaluation de la contrainte. La nature et l’intensité de cette perception dépendent également de l’expérience, des qualités et des capacités personnelles (ressources internes). Venir à bout d’une situation de contrainte dépend donc de la personne, de ses capacités, de ses qualités et de sa manière d’être.Gestion du stress en situationBien entendu il y a lieu lors d’évènements de manifestation d’états de stress, notamment en cas d’urgence, de minimiser le plus rapidement possible les réactions causées par le stress en puisant selon les cas dans toute une panoplie de moyens, par exemple :
  • –  d’abord prendre le temps de faire une analyse sommaire de la situation
  • –  créer des moments de détente, de recul qui permette aux acteurs de prioriser et desserrer les contraintes, voire aménager des lieux de relaxation
  • –  rechercher et mettre en place un ou des soutiens.
  • –  procéder à une éventuelle réévaluation « objectivée » et « juste » des demandes etrevendications
  • –  marquer une attention à la gestion appropriée des tensions et des conflits
  • –  faciliter la résolution des conflits avec les collègues, les supérieurs
  • –  etc …Ce type de mesures en cas d’urgence n’est pas contradictoire quelle qu’en soit l’issue avec le traitement ultérieur sur le fond des causes, visant les démarches de prévention.Réagir en situation ne suffit pas. Il est nécessaire de mettre en œuvre ce qui peut permettre de faire disparaître le stress après les évènements, pour éviter qu’il ne s’installe. Pour l’organisation on s’orientera en fonction des orientations évoquées plus haut, mais cela ne suffit pas car au niveau des individus il est recommandé de conseiller et si cela a du sens de faciliter et encourager :
  • –  la pratique de sports hors compétition (si un seul sport la marche dans la nature est le plus recommandé, mais les chinois en ville pratiquent le Taï Chi Chuan dans les parcs)
  • –  de l’activité physique sur un autre plan que le sport, qui fasse sens pour l’intéressé
  • –  de la détente ciblée, selon une pratique
  • –  des contacts sociaux
  • –  éventuellement une démarche à orientation psychothérapeutique
  • –  le suivi médical
  • –  une hygiène alimentaire.
    Ce sont autant de pratiques de restauration et d’hygiène de vie qui aident l’individu à rester digne et ne pas entrer en dépendance, quel que soit le contexte.Il faut savoir que sauf exception, dans l’entreprise les moments de détente semblent actuellement de moins en moins acceptés, et que l’on ne tient que peu compte des biorythmes individuels. Les quelques entreprises qui ont compris à quel point leur performance globale est liée à une rupture de management en regard de la tendance du modèle unique dominant restent encore des pionnières.
  • Certaines font cependant partie des cas sélectionnés en appui du rapport objet du Livre Vert présenté en 1998 à Glasgow « Partnership for a new Organisation of Work ». Puis celles-là et plus d’une centaine d’autres parmi les cas capitalisés par le Réseau Européen pour la Promotion de la Santé au Travail (ENWHP) et régulièrement exploitées pour argumenter les travaux de conférences internationales bi-annuelles mais notamment en l’occurrence celle de Dublin en 2004.

Savoir que l’approche ne sera pas la même selon qu’il s’agit de stress passager ou de stress permanent et chronique.
Au niveau collectif, l’apparition quasi simultanée de plusieurs stress passagers peut rendre attentif à rechercher les éléments de contextes, plutôt que de « botter en touche » et pratiquer la « politique de l’autruche ». Sinon le collectif court peut être le risque de dériver vers du stress permanent. Cette identification peut être le fait de divers acteurs : encadrement, membres des CHSCT quand ils sont sensibilisés sur cette mission, fonction personnel, médecine du travail, services d’infirmerie …

En cas de stress permanent, il est utile de pouvoir travailler dans le cadre d’une équipe globale d’analyse du stress ; certes sans viser avec utopie l’exhaustivité mais avec un minimum de pluridisciplinarité. Des précautions déontologiques doivent être prises, afin de ne pas mettre des personnes en danger. Il n’est pas évident qu’un diagnostic sur le stress puisse être effectué partout sans risque.

L’analyse du travail de situations types ou déjà ciblées avec assez de précision, dans les contextes identifiés, contribuera au diagnostic des causes et/ou du processus, selon les cas, pour l’entrée organisation et conditions du travail. Selon les cas, la dimension management pourra aussi être abordée. Il sera souvent pertinent de la compléter par un regard sur les procédures de gestion et de décision, ainsi que par une lecture critique des paramètres de performance.

Motivation… à être soi-même

Contribution aux Rencontres 98 de l’Institut Psychanalyse et Management à Pau, consacrées au thème de la motivation.Michel Vallée – Mars 1998Pour une meilleure compréhension, certains détails ont été modifiés en terme de délais, par exemple plus de décennies puisque nous sommes non plus en 1998 mais en 2009 (à reprendre pour 2019)

Depuis quelques années, il est devenu difficile dans le monde occidental rationnel et mentalisé de notre époque de parler de motivation sans reprendre des modèles, concepts, analyses, outils, expériences déjà connus. La motivation glisse comme l’eau entre les doigts de qui veut la saisir, sans même follement rêver de la maîtriser. Cependant, simultanément état et énergie, la motivation existe comme déterminante de nos désirs, pensées, paroles et actes. Notre liberté ne pourrait-elle pas consister à utiliser ce que nous comprenons de cette énergie à être plus nous-même. 

Les travaux scientifiques et les modèles de management n’en sont encore qu’aux approches 

Les échelles de motivation, nombreuses mais dont les premières connues sont du type Maslow (1954) ou Herzberg (1959) n’ont jamais été scientifiquement vérifiées. Ce ne sont pas des protocoles statistiques partiaux et partiels qui entraînent démonstration pertinente. Les exemples de personnes qui s’engagent au niveau de l’accomplissement sans que les besoins de type sécurité ne soient satisfaits d’abord abondent … et peut-être même se multiplient dans les contextes de nos sociétés en crises et en guerres (économiques, sociales et militaires à nos portes) où plusieurs quart-monde « se débrouillent » dans des économies parallèles. Apparemment curieusement aux yeux de certains de nos contemporains, les besoins de don à autrui et de satisfaction égoïste immédiate se manifestent côte à côte simultanément, mais cela en fait n’est pas vraiment nouveau. 

Dans un registre différent, une approche parallèle entre connaissances psychosociales et outil de marketing s’est trouvée concrétisée avec les outils de promotion des ventes des années 60- 70, par exemple avec les études reconnues alors comme sérieuses de H. Joannis « De l’étude de motivation à la création publicitaire et à la promotion des ventes » Dunod 1971) . Mais leurs fondements ont été dépassés depuis par des approches du type des socio-styles de Cathelat <« Socio-styles système » – Bernard Cathelat – Les éditions d’organisation 1990 >, et leurs suites. Chacun sait maintenant que ce qui motive un acte d’achat (au sens le plus large du terme) est généralement imprévisible, et que la relation apparente entre l’usage d’une méthode de promotion et l’acte d’une personne, d’une famille, d’un petit groupe, peut être en fait meut par toute autre chose que cette apparence.

Les théories de type X et Y de Mac Gregor, et les nombreux outils de management qui en sont déclinés, ne donnent que sur une répartition des personnes et des styles qui tourne sur elle-même sans débouchés opératoires pertinents dans l’animation managériale des personnes. Elle sert tout juste à affirmer la préférence d’un style présenté comme démocratique (le volet confiance envers l’individu) sur l’autre, ce qui correspond à un principe moralisateur, mais une fois encore n’a rien de scientifiquement fondé. Plus, les effets pervers générés à terme par le déni de l’aspect « méfiance » < Et plus généralement toutes les écoles et optiques qui, voulant « bien faire » et développer systématiquement ce qui est culturellement décrit comme « positif », nient ou dénient les autres aspects de la nature, donc autant la réalité systémique que la complémentarité négociatoire permanente antagonismes/synergies >, de l’individu peuvent générer des situations qui n’ont rien d’enviable. La censure du surmoi sur le ça et le soi est partiellement à l’origine de nombreuses décompensations, dont les effets individuels et/ou sociétaux peuvent être terrifiants < Au niveau de l’individu les praticiens ne manquent pas d’exemples. A l’analyse, une partie des suicides de cadres et responsables en entreprise trouvent trés probablement là une partie de leur motivation. Au plan purement collectif, l’exemple de l’acte du Potemkine peut être proposé > . Nier une partie de la nature entraîne toujours des réactions à terme qui, comme le volcan, n’indiquent qu’au dernier moment (et encore à qui sait s’ écouter) quand, où et comment elles éruptent.

La théorie socio-technique (Emery et Trist dès 1960) présente l’avantage de combiner plusieurs approches selon une démarche plus scientifique de validation, afin de se rapprocher de la réalité des situations de travail en groupes. Le système humain et le système technique y sont perçus comme en interrelation étroite et indissociable, dont des autorégulations dont chaque individu et le groupe ont besoin. De la satisfaction de ces régulations dans le travail résulte une dynamique (un état de motivation ) dont les performances sont à l’origine de la mise en place des équipes dites autonomes. 

Plusieurs générations de types variés d’équipes autonomes ont été et sont encore expérimentées, avec des succès divers. L’échec de l’expérience suédoise en vrai grandeur de Volvo à Kalmar puis Uddevalla n’est toujours pas élucidé de façon satisfaisante, et on peut se demander pourquoi en Europe 60 % des entreprises prétendent y adhérer (ainsi qu’aux démarches participatives) alors que moins de 5 % de réalisations satisfaisantes sur le terrain existent vraiment <Survey de la très officielle European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, par Dister Fröhlich et Ulrich Pekruhl, publiée en 1996 sous le titre « Direct Participation and Organisational Change Fashionable but Misunderstood ? » ( Loughlinstown, Co. Dublin) > , et pourquoi ceux qui perdurent continuent d’être des îlots au sein de leur environnement socio-économique (ainsi de Barilla en Italie et de Delphi en France).

Enfin, le modèle de Cuendet <« Motiver aujourd’hui » – Gaston Cuendet, Yves Emery et François Nankobogo – Les Éditions d’organisation 1986 >, intègre une liste de facteurs clés (il isole sept catégories parmi les centaines de paramètres identifiés par les divers auteurs <« La motivation » – note technique du cabinet PROVAS, membre de l’ association APRAT – Michel Vallée – 1990 > ) sur lesquels travailler avec une approche globale organisationnelle, psychosociologique et philosophique, à l’heure où les valeurs travail et autorité sont en mutation (thèmes enfin « reçus » et largement controversés ces toutes dernières années. Cette logique se rapproche un peu du « et » de psychanalyse « et » management. Elle ne rentre toujours pas sur le champ de la compréhension de l’essence du processus de motivation.

De la motivation à la mobilisation, et jusqu’à l’individu à « faux self » 

Depuis deux décennies, en matière de management, la question n’est plus celle de la motivation mais celle de la mobilisation des ressources humaines. Il n’est qu’à voir le peu de cas fait autant par la plupart des universitaires, des consultants, et des équipes stratégiques de direction des grandes entreprises, à propos des démarches un peu consistantes de valorisation des potentiels <« Évaluation du personnel » – Claude Lévy-Leboyer »Détecter et gérer les potentiels humains dans l’entreprise » – C. Vermot Gaud >, pour comprendre que la question n’est pas celle de la motivation. Ce qui intéresse, ce n’est pas le long travail de suivi qualitatif des parcours professionnels possibles visant à l’expression du meilleur de l’homme dans son utilité sociale au travail, c’est la rentabilité à court et moyen terme des capacités déjà exprimées ou immédiatement exprimables en regard des besoins actuels du marché. Même en Allemagne, on revient sur les pratiques d’apprentissage trop coûteuses. Dans les demandes actuelles, françaises ou internationales, on ne parle presque plus de l’organisational development et des équipes autonomes, on recherche dans le meilleur des cas la performance globale des empowered teams.

Dans de nombreux travaux des années 90 réalisés au sein de la communauté européenne sur l’organisation du travail <Préparation en cours ( second semestre 97/ premier semestre 98) d’un Green Paper, « Vers une nouvelle organisation du travail, pourquoi, comment ? « , coordonnée par la Commission Européenne (DGV) >, il est universellement affirmé, avec un regard « holistique », que l’avenir de la compétitivité, la réactivité et l’innovation résident dans les personnes membres de la communauté entreprise et les compétences actuelles et potentielles qu’elles portent. Mais les conséquences et mesures moyen terme envisagées par une majorité d’acteurs portent plus sur les « good practices » de management que sur la refonte du système éducatif et de formation professionnelle. Les écoles fondées sur le développement de la personne, de type Montessori ou Steiner, demeurent porteuses d’une image de sectes < les premières du genre, aux USA avec Dewey, datent pourtant des années 1895-1905 ! > , et la part consacrée au psychosociologique dans les grandes écoles demeure inexistante ou peau de chagrin.

Au fait, qu’y a t’il derrière ce passage de « motiver » à « mobiliser » ? Il y a vingt-cinq ans, un groupe de réflexion de chercheurs en sciences sociales et de consultants auquel je participais et qui se posait la question a dressé la double liste de traits significatifs suivante 

MOTIVER : donner des raisons d’agir entretenir une dynamique un équilibre qui perdure, révéler l’énergie latente, intéressement aux résultats, contrat, plusieurs paramètres, effet dilué dans le temps, développer le jeu commun

MOBILISER : engager à l’action dans l’instant, mettre en mouvement (ébranlement), durée relativement courte, saisir l’énergie, impulser, prime spécifique à l’action, accord de se défoncer pour passer une action – un thème, effet instantané, saisir le jeu personnel.

Aussi peut-on constater, un quart de siècle après, que ce qui à l’époque apparaissait comme un investissement court terme de type commando, éventuellement incontournable et exaltant à vivre, est devenu un engagement permanent quasi banalisé. 

Il n’est pas étonnant alors que de l’avis de nombreux confrères tant en France qu’en Europe, le débat sur la motivation, devenu débat sur la mobilisation des ressources humaines (avec toute la réduction inhumaine de ce concept de ressource où certains confondent effectif et tonnes de pétrole), soit immédiatement associé au débat sur le stress < La double problématique motivation-mobilisation et stress, dans le cadre des structures d’entreprise « névrotisantes », pourrait faire l’objet des travaux de la nouvelle Délégation Rhône-Alpes de l’IPM > .

Le regard en parallèle sur la motivation-mobilisation et sur le stress semble ouvrir vers deux issues, d’un côté certes les prodiges de performance signes d’une transition dans la relation de l’homme et des groupes à l’activité, mais de l’autre les limites du burn-out quand la ressource mobilisée se trouve épuisée. 

Et rien ne permet de garantir que la première issue ne risque pas insensiblement ou brutalement de déboucher parfois sur la seconde. L’extrême est exaltant et l’homme y perçoit une part de ses limites, mais l’organisme ne le supporte qu’un temps, et l’être se met toujours en danger quand il se prend pour Dieu. 

Je vais maintenant prendre appui sur la fin de l’un des ouvrages de Eugène Enriquez <« Les jeux du pouvoir et du désir dans l’entreprise » – Eugène Enriquez – Desclée de Brouwer 1997> ,véritable somme de psychosociologue d’inspiration analytique, pour assurer la charnière entre les données ci-dessus et l’objectif de cette contribution.

Dans cet ouvrage, Eugène Enriquez démonte les leurres manipulatoires conscients et inconscients, individuels et collectifs, de ces mécanismes de management de la mobilisation. Il propose inlassablement un chemin de changement plus conscient au sein des structures, plus mature au sens autant de Sigmund Freud, Carl Gustav Jung ou encore d’un Eric Berne ou d’un Robert Dilts …, vécu dans la vie colorée des expressions des contraires et des potentiels, sans bien entendu jamais prétendre savoir à l’avance où l’on va. 

Enriquez pointe très justement la dernière ligne des deux colonnes de la comparaison plus haut entre motivation et mobilisation, en proposant l’hypothèse que la période d’individualisation que nous vivons et traversons a pour but de supprimer le « sujet » et la vie intérieure. Une floraison depuis de travaux en sociologie clinique développent ce constat dans un contexte général de dégradation et d’implosion sociétale. 

L’individu valorisé et recherché par les nouveaux technocrates est « à géométrie variable » (J-L Servan-Schreiber, 1988), capable de s’adapter en tant qu’individu à toutes les situations, de faire taire en lui ses états d’âme, de considérer les problèmes dans leur froideur. C’est bien là une vue qui se veut de « dirigeant responsable » qui oublient de vivre la vie et projettent sur ceux qui « dépendent d’eux » leur fantasme froid de la motivation. Froideur que valident les deux Helmut (Schmidt et Kohl) dans un vrai dialogue plein d’humanité sur Arte en Mars 98 quand ils expriment ensemble que « … plus on grimpe plus l’air devient glacial »; heureusement que ces deux là ne sont pas des « tueurs cools ». 

L’exemple valorisé est l’homme devenu capable de sortir de ses limites, d’avoir des modes de communication affirmative, de n’être obsédé que par l’excellence et qui doit donc devenir ce que Enriquez appelle un « tueur cool », un battant-gagnant débarrassé des promesses, des songes et des interrogations, soit un individu à « faux self » (Winnicott, 1966). 

Dépassement de la sublimation combinée à l’idéalisation dans l’individuation 

Enriquez propose, après le constat-hypothèse des risques de l’individualisation outrancière, de trouver dans la combinaison positive entre « idéalisation » et « sublimation » le chemin ouvert à l’ « individuation ». 

Pour qu’un individu ne se voit pas vidé de sa vie intérieure, il est indispensable qu’il puisse mettre en œuvre un processus de sublimation. Par ailleurs, il n’y a pas d’ordre social sans religion, mythe ou idéologie. La sublimation amène épanouissement de l’esprit humain dans sa rencontre avec les autres et à la reconnaissance de la subjectivité. Et celle-ci ne doit pas nier l’idéalisation car, si l’idéalisme est une maladie, l’Idéal nous requiert.

Une des formes les plus socialisée et instituante de sublimation mène à la généralisation du désir d’investigation partagé avec d’autres. D’où l’intérêt d’institutions où le processus de sublimation serait élaboration d’un lien social toujours à reprendre et à réinventer. Ce ne seraient plus les besoins narcissiques qui trouveraient satisfaction mais le désir de partage, d’union, de jeu, de création d’un « espace potentiel » (Winnicott) où chacun peut expérimenter de l’ irrémédiablement nouveau, où du vide pourrait se créer sans apporter une charge d’angoisse insupportable mais où, au contraire, le vide, le silence, le suspens seraient annonciateurs de parole nouvelle, de « fulgurance individuelle et sociale ». Cette forme d’ Éros trop souvent éphémère met en cause la manière dont le lien social est institué par les dominants et oblige les « sujets » à se vouloir instituants, soit vainqueurs de la pulsion de mort homogénéisante et répétitive qui gît en eux comme dans le corps social.

En effet, l’individualisme du « tueur cool » mène bien à la répétition du même type de comportement motivé « responsable » recherché, et éventuellement au conformisme de type fasciste  < « Le conformiste » – Alberto Moravia – Flammarion 1952 > . L’innovation proclamée n’y est reconnue que dans le cadre de la pensée unique néo-libérale et de certains développements des nouvelles technologies, et la précarisation des statuts fait le reste. Ceux qui se fourvoient, ou se laissent leurrer, et ne restent pas dans le système auront droit aux parcs « écologiques », peut-être un peu plus confortables que ceux du « Meilleur des mondes » d’ Aldous Huxley.

Les deux processus de sublimation et d’idéalisation relèvent à la fois de la psyché individuelle et de la psyché collective, celle qui promeut des « significations imaginaires centrales » (Castoriadis, 1975) partagées par la plus grande partie de ses membres.Malgré toutes les tendances de la société et des entreprises à le normaliser, l’homme, comme le disait Freud, répugne à la « situation de termite ». Bien au contraire l’homme « sujet » infléchit la vie sociale, seul et avec les autres, parfois sans le savoir, parfois en poursuivant des projets conscients.

D’où le dépassement de l’individualisation, au delà de la combinaison positive entre sublimation et idéalisation vécue dans les rôles de la personne au sein des institutions dont elle participe et dont elle est instituante (qu’il s’agisse d’un héros ou d’un « petit homme »), dans la maturité de l’ « individuation ». L’individuation est décrite par Enriquez comme un « état vers lequel tendre au travers des changements où l’individu est non plus une simple personne agissante mais une subjectivité capable d’action et de réflexivité ». 

Ce qui nous amène à la question du sens de l’état et du travail de motivation-mobilisation, pour chacun d’entre nous dans notre intimité, comme au sein des collectifs et des groupes socioculturel dont nous participons. 

La motivation, état autant que moteur, apparaît bien liée aux défis de l’expression de soi par rapport à l’existence, à la nature qui nous environne et dont nous faisons partie, aux autres que nous rencontrons, et ce de la période de notre conception à aujourd’hui. C’ est une des qualités, une des énergies, de l’expression de notre être, où le conscient et l’inconscient sont intimement imbriqués, mêlés, au travers notamment des processus de sublimation et d’idéalisation, dans la vie sociale. Elle peut déboucher aussi bien sur un conformisme leurre narcissique que sur l’expression proche du potentiel de notre être, comme identité origine et inattendue parmi toutes les autres, et au milieu de l’identité collective de toutes les autres, par le processus de l’individuation. 

Comment en matière de management prétendre connaître et maîtriser une telle complexité, dont la part la plus importante se trouve dans l’océan de notre inconscient individuel et des inconscients collectifs élaborés au fil de l’histoire de l’humanité dans les groupes dont nous participons, et dont nous sommes chacun instituant, … grain de sable parmi des millions ayant avec chacun avec humilité sa propre finitude ? 

Ce serait une fois de plus nier la nature de l’inconscient, qui n’est plus à démontrer autant pour sa dimension individuelle que collective, et ce depuis bien plus longtemps que le début du siècle, comme une partie de l’oeuvre de C.G. Jung sur le champ de la psychologie analytique, et au-delà de nombreux travaux en anthropologie et en ethnologie sur les chamanismes en attestent  < « Le chamanisme » Mircea Eliade Payot 1968 – « Les racines de la conscience » Carl Gustav Jung Buchet-Chastel 1971 – « Anthologie du chamanisme » S. Nicholson Le Mail 1991> . Les déterminants qui nous meuvent relèvent indissociablement de notre personne, de nos environnements, de nos sociétés, et de nos histoires.

Il s’agit donc bien de notre dynamique, où notre être et notre énergie sont intimement mêlés. Chacun au fil de sa vie peut constater que nous n’en connaissons pas les limites. A chaque page tournée, une autre page se manifeste immédiatement, avec une autre conscience et une autre énergie, complémentaires aux précédentes. 

Nous vivons successivement, dans la confrontation de nos rôles fantasmés avec les rôles attendus par les autres, selon qu ‘ils sont reconnus ou non, désapprouvés et valorisés, des spirales ascendantes et descendantes de motivation  < une des bases, dans une logique adlérienne, de pratiques de sensibilisation des années 60-70 (et probablement auparavant) >, où déja psychanalyse et management tentaient de se nourrir réciproquement , où l’expression de notre potentiel, de ce que nous sentons de notre essence au fond de nous même, s’éloigne et se rapproche, se détériore et se développe.

L’émergence de cet être et de cette énergie intime passe par des images, des gestes, des symboles, des langages, au travers des limites de notre perception <rappelons qu’ Aldous Huxley, cité plus haut, a aussi écrit sur « les portes de la perception » <déclenchés par l’absorption de peyotl ou autres substances apparentées, leur parenté avec les phénomènes de « conscience élargie », et les expériences de qualité mystique >, en cela précurseur de nombreux travaux des dernières décennies sur les phénomènes psychologiques >. Langages dont la réalité n’est propre qu’à chacun, mais qui sont élaborés dans la rencontre avec autrui, et qui sont codés, et ne se stabilisent que par le très grand nombre de personnes qui les partagent, pour n’évoluer au fil du temps qu’insensiblement.

Chacun trouvera simultanément plaisir et souffrance à investir sa motivation à être soi- même 

S’ il est utopique de croire comprendre et maîtriser le fond du phénomène et la complexité de la motivation, il ressort qu’à partir de propositions de la qualité de celle d’ Enriquez ( je ne crains pas ici de voir un pont entre l’individuation qu’il évoque et celle que Jung a mise en évidence et développe), il est de notre liberté de travailler à élargir la conscience que nous en avons, et de travailler à y mettre un peu plus d’ordre pour tenter de vivre plus heureux.

La souffrance ne vient-elle pas de l’inadéquation entre être essentiel (la conscience de fond diffuse que nous en avons) et être existentiel (l’équilibre négocié et socialement reçu qu’une grande majorité d’entre nous nous sommes résignés à accepter de vivre … survivre ?). Il n’est que de voir ce dont nous devenons subitement capables, quel que soit notre état physique, et avec quel exultation (motivation) dés qu’une ouverture se manifeste avec des risques perçus comme réduits. Habituellement, dans le confort construit du quotidien, il est difficile d’accepter que l’être existentiel ne tienne pas le haut du pavé. 

Mais quelle meilleure voie que de chercher (être motivé) à être nous même dans cette vie-ci, sachant que notre mort est la seule chose dont nous soyons certains. Ce qui nous motive … à être nous-même, c’est cette mémoire diffuse de fond de notre nature réveillée par certains évènements, des contextes « révolutionnaires » qui obligent aux ruptures, peut-être les moments clés de certaines « analyses » <« La percée de l’être » Karfried Graf Dürckheim Le courrier du livre >.

N’est-ce pas l’attente en filigrane derrière toute demande de thérapie personnelle … 

 » Mes actes expriment-ils ma parole ? Ma parole exprime t’elle ma pensée ? Ma pensée exprime t’elle mon désir ? Mon désir exprime t’il mon être ? » <« L’évangile de Myriam de Magdala » Jean-Yves Leloup Albin Michel 1997 >.

La souffrance peut être interprétée comme la difficulté à y voir clair entre désirs, actes, pensées, paroles en soi-même, à s’accepter avec ses limites et dysfonctionnements (physiques comme psychiques) dans ses désirs, actes, pensées et paroles, et à passer au travers … dans le dur inlassablement répété de la durée et des expériences quotidiennes. 

L’expérience montre que le chemin est douloureux, au travers des crises successives des prises de conscience, et qu’il apparaît à beaucoup plus confortable de demeurer dans la souffrance dont on a l’habitude, ou l’insatisfaction initiale que l’on connaît bien. 

L’expérience montre aussi qu’un événement vécu comme insupportable et inacceptable est souvent déclencheur possible de la démarche de remise en cause de soi. On prends ou on ne prends pas, et tout le monde n’interprète pas une décompensation comme un signal d’alerte. Le conformiste est honoré et au chaud dans sa perversité … jusqu’au jour où l’évolution brutale de son environnement le laisse nu. Le difficile est d’aller vers ce que l’on ne connaît pas.

L’expérience montre enfin que le soulagement, le plaisir, voire la félicité de l’accord avec soi acquis au prix d’efforts considérables s’avère le plus souvent au-delà de tout ce que l’on aurait pu imaginer avant de suivre le chemin pour y parvenir. 

N’est-ce pas dans la conscience perçue comme élargie d’être plus en accord avec soi-même, dans la vie intime comme dans la vie au travail et dans la vie civile, que l’on trouvera un meilleur équilibre énergétique ? 

Revenons au plan de l’entreprise en terme de management, et reformulons les quatre questions de Jean-Yves Leloup ci-dessus sous forme d’affirmations, en partant de l’ être qui au niveau du collectif institué devient identité. Nous pouvons sans trop d’effort obtenir : 

L’identité de l’entreprise détermine (ou devrait déterminer) sa finalité et ses objectifs. Finalité et objectifs déterminent sa structuration, ses process, ses règles. Sa structuration et son fonctionnement déterminent sa communication et son information. Communication et information donnent la production.

Quel consultant respectueux de son art démontrera que tout décalage dans cette logique n’est pas associé à dysfonctionnement coûteux, donc avec perte d’énergie ? Tout dysfonctionnement de l’énergie investie (de motivation) est signal d’alerte. 

La logique d’emboîtement de ces quatre dernières phrases corrèle de près avec le modèle développé par Fox et Gilles Pellerin à partir des principes de Éric Berne, dont on connaît les présupposés psychanalytiques, adapté au management des organisations. La sphère de l’autorité de Direction y est fondée sur les finalités; cet ensemble « de tête » s’appuie sur la structure invisible <« Une technologie invisible ? » Michel Berry Centre de recherche en gestion de l’école polytechnique 1983 > des règles et de la culture interne, pour déterminer les fonctionnements et régulations individuels et collectifs au sein de l’organisation du travail, d’où la production en fonction des marges de manoeuvre et contraintes de l’environnement.

Or l’expérience montre que le diagnostic d’une institution, et une stratégie de transformation visant à réduire ses dysfonctionnements, inspirés de ce modèle, mènent généralement à des améliorations sensibles, notamment de l’état de motivation partagé si la démarche intègre un assainissement de la communication interne en cohérence avec la communication institutionnelle. Par contre les prises de conscience et remises en cause des schémas de pouvoir sont fortes, et peuvent entraîner rejet rationalisé ou violent puis refoulement.

En contraste un autre constat dans le monde du management, mais avec une dimension ludique, va dans le même sens mais « en creux », un fameux spot vidéo publicitaire de Arthur Andersen, qui avant sa chute a été premier consultant mondial, et les connotations qu’il suggère (la démarche marketing n’y est probablement pas en contradiction avec un mix de Joannis et Cathelat évoqués au début de cette contribution) . 

Des aigles, êtres puissants très individualistes et peu faciles à atteindre dans leurs refuges de haute montagne, prennent leur envol séparément et se rapprochent en harmonie progressive de la surface d’un lac où, dans un geste d’ensemble impeccable, ils extraient un gigantesque poisson, soit une performance globale inespérée … grâce au savoir-faire de Andersen Consulting. Le tout dans un cadre « de rêve »… éveillé ? C’est bien là une représentation de l’archétype du fonctionnement idéal de l’institution mobilisatrice, mais image en creux en regard de la réalité. 

Chacun connaît les multiples raisons pour lesquelles ce peut être là quasiment un « idéal qui requiert ». Il n’en reste pas moins que le sens de la motivation est lié à « être soi-même », pour chacun au milieu de tous les autres chacun des collectifs … et qu’alors la mobilisation va de soi, sans qu’il soit besoin de même l’évoquer. 

La motivation à être soi-même peut générer, au travers d’un processus de mobilisation, l’engagement. Les issues connues et que nous pointons ici correspondent au moins à deux risques, d’un côté la perte d’identité et le conformisme manipulé, de l’autre le développement de l’essence de l’être au delà de l’ego. D’où la sensible difficulté du travail sur soi parmi les autres. 

Il y a encore beaucoup de chemins à parcourir et de travail à développer, dans l’intimité de chacun comme dans les entreprises collectives … mais combien motivants ! 

Michel Vallée